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La Revue russe 62 - Résumés des articles

lundi 24 juin 2024, par Sylvette Soulié


Nino BARKALAYA
Fiodor Chaliapine en Géorgie
L’article est consacré aux années de formation en Géorgie de la basse russe Fiodor Ivanovitch Chaliapine, ainsi qu’à ses tournées dans ce pays, après qu’il est devenu soliste des théâtres impériaux et reconnu comme une star mondiale. Il présente des informations biographiques peu connues liées à ses études dans la classe du chanteur Dmitri Oussatov et aux premières représentations du jeune artiste sur la scène du Cercle musical et de l’Opéra de Tiflis. L’article fournit une liste de documents tirés des archives Chaliapine conservées au Musée du Palais des arts de Tbilissi.

Anastasiia SYREISHCHIKOVA-HORN

Chaliapine et les traditions de l’art vocal russe
Fiodor Chaliapine est, en Occident, un des symboles de l’école vocale russe. On lui attribue surtout une capacité exceptionnelle à travailler ses rôles afin de révéler l’essence dramatique des personnages. Mais qu’en est-il de son art vocal ? Comment s’inscrit-il dans l’histoire des traditions et pratiques vocales russes ? Quasi-autodidacte, sa carrière vocale débute à l’église, dans le cadre de la tradition liturgique orthodoxe. Son unique professeur, Dmitri Oussatov, est un adepte de la méthode italienne de Francesco Lamperti. Quand il commence à chanter dans les théâtres de Pétersbourg et Moscou, Chaliapine est entouré d’une pléiade de chanteurs brillants. Dans quelle mesure sa technique correspond-elle aux pratiques vocales russes de son époque ? Pour répondre à ces questions il conviendra de situer le style vocal de Chaliapine par rapport à d’autres chanteurs russes contemporains – ou qui l’ont précédé – ainsi qu’aux traditions plus lointaines de l’art vocal russe.

Jean-Christophe BRANGER
Massenet, Chaliapine et Don Quichotte : chronique d’un désamour annoncé
Le 19 février 1910, Chaliapine remporte un succès mémorable à Monte-Carlo dans le rôle-titre de Don Quichotte, « comédie héroïque » de Jules Massenet, composée spécifiquement pour lui. La basse russe disparaît pourtant rapidement de l’entourage du compositeur qui lui préfère la basse chantante Jean Vanni-Marcoux pour la première parisienne de l’ouvrage, quelques mois plus tard. En dédiant sa « comédie héroïque » à Lucien Fugère, qui incarne aussi le rôle de Sancho pour la première fois à cette occasion, Massenet manifeste aussi implicitement ses désaccords avec la basse russe qui, de son côté, laissera des témoignages plutôt réservés sur l’ouvrage. Chaliapine se produit pourtant régulièrement dans Don Quichotte dont il se fait l’ambassadeur en assurant sa création dans différents théâtres un peu partout dans le monde. Il chante même le rôle à l’Opéra-Comique en 1931 au crépuscule de sa carrière. À partir de différentes sources, dont certaines méconnues, le présent article étudie, voire nuance, ce désamour qui permet en définitive de mieux saisir les qualités respectives, mais parfois incompatibles, de deux artistes majeurs de leur temps, les qualités du chanteur pouvant entrer en conflit avec celles du comédien : Chaliapine prend des libertés avec la musique du compositeur, car la composition scénique prime sur le respect de la partition.

Laetitia LE GUAY
Chaliapine et l’opéra russe aux portes de la modernité
En dépit de son talent immense et de l’admiration qu’il suscite chez ses contemporains, depuis les aînés Rimski-Korsakov et César Cui, jusqu’au plus jeune Prokofiev, en passant par Rachmaninov, Chaliapine n’a suscité aucun opéra russe qui se soit inscrit dans la durée. Le fait est d’autant plus paradoxal que Chaliapine se pensait comme le chanteur-acteur qui allait révolutionner la scène lyrique, engoncée à ses yeux dans la routine académique. Telle est l’énigme qui est explorée ici, au fil d’une étude de l’opéra russe au tournant du siècle qui met en lumière une série d’ouvrages lyriques pour la plupart oubliés : Ilia Mouromets de Valentina Serova, Le Sarrazin et Le Festin pendant la peste de César Cui, Dobrynia Nikititch d’Alexandre Gretchaninov, Francesca da Rimini et Le Chevalier avare de Sergueï Rachmaninov. Comme le montre sa correspondance avec Maxime Gorki, Chaliapine voulut passer des commandes d’opéras, sans que rien aboutisse. Prokofiev, qui pourtant l’admirait, engagea l’opéra russe dans la modernité sans lui. Pour des raisons diverses, celui qui n’avait pas pris le train des avant-gardes russes avant la révolution, n’y fut pas convié après. Ni en Russie, ni pendant ses années d’exil.

Marie-Christine AUTANT-MATHIEU
Les personnages chantants de Fiodor Chaliapine
Après un rappel des débuts de Chaliapine comme acteur amateur, j’interrogerai la filiation Mamontov-Chaliapine-Stanislavski en montrant que le chanteur trouve des formes spectaculaires à ses émotions et fait alterner stylisation et naturel. Je reconsidérerai ensuite l’affirmation du chanteur, regrettant dans sa biographie de n’avoir créé ni école ni théâtre. Comme en témoignent les sources soviétiques dès la fin des années 1960, Chaliapine a eu un rôle majeur après Octobre 1917 dans la réorganisation des affaires artistiques et un Studio Chaliapine a bien existé, à Moscou, dans lequel sa femme et ses deux filles étaient employées. Les silences de Chaliapine autant que ses assertions nous intéressent car ils mettent en avant sa personnalité hors normes qui fabriqua et imposa son image de star, fascinante au point de provoquer des imitations, irritante par ses exigences et ses caprices. Si Chaliapine n’a pas fondé de drame musical « d’art » qui aurait été le pendant des « théâtres d’art » plaçant l’éthique du travail collectif, la pédagogie et la transmission des savoirs au même rang que la quête d’innovations esthétiques, il a laissé, dans les souvenirs de ses contemporains, mais aussi par sa discographie, des images fortes de personnages chantants qui continuent de hanter les imaginaires.

Stéphane POLIAKOV
L’image grimée de Chaliapine : maquillage et perceptions visuelles
La carrière de Chaliapine, chanteur et acteur, se trouve au cœur des interactions du théâtre et des peintres russes dont il est très proche dès ses débuts à l’Opéra privé de Mamontov. Il prend pour modèle des tableaux pour composer ses maquillages, et les peintres, à travers les portraits qu’ils font de lui ou des esquisses, lui proposent des maquettes pour ses grimages. Ses différents Méphistophélès, ses souverains russes et ses autres rôles historiques élaborent une galerie de portraits que la peinture, la photographie ou l’illustration nous restituent. Si le maquillage s’efface, les images et les textes permettent de comprendre la composition et les styles des grimages de Chaliapine, ses transformations, mais aussi sa conception du jeu mimique en rapport avec la musique, l’expression dramatique et l’image scénique : se faire un visage plastique, c’est suivre une image intérieure. Le moment figuratif du grimage se révèle également dans sa réalisation même dans le rapport au coiffeur-grimeur, artisan de la fabrication de la tête de l’acteur.

Oksana BULGAKOWA
Chaliapine à l’écran : échec ou quête d’une nouvelle expressivité ?
Au début du siècle, le film était perçu en Russie non pas comme la nature qui parle (telle était la réaction des spectateurs occidentaux à l’invention des frères Lumière), mais comme une nécropole privée de voix, un royaume d’ombres muettes. L’attention constante de la presse russe envers le chanteur Fiodor Chaliapine et son consentement à jouer dans des films muets pourraient donc paraître surprenants si l’on ne tient pas compte du contexte international qui encourageait ces rapprochements : Enrico Caruso a transposé à l’écran son rôle dans Pagliacci (ce film fut un échec), le célèbre ténor japonais Fujiwara Yoshie a joué dans un film muet : Furusato en 1930. Chaliapine a également fait une expérience au cinéma muet en jouant son célèbre Tsar Ivan le Terrible dans le film Le Tsar Ivan Vassilievitch le Terrible / Царь Иван Васильевич Грозный, basé sur l’opéra La Pskovitaine / Псковитянка (1915). Son travail a été critiqué par la presse, cependant, dans les années 1920 les journaux émigrés russes et européens ont annoncé des films avec sa participation, en association avec Charlie Chaplin et Serge Eisenstein et dans de grands studios américains et britanniques. Maxime Gorki lui a écrit un scénario sur Stenka Razine. Viatcheslav Strijevski avait l’intention de tourner un film sur la vie de Chaliapine avec la participation de ses enfants dans les rôles du jeune chanteur. Enfin, Georg Wilhelm Pabst a filmé avec Chaliapine non pas Boris Godounov, mais Don Quichotte en 1933. La présente contribution présente les rôles joués et non joués du grand chanteur en accordant une attention particulière à la relation entre l’expressivité du corps et de la voix, ainsi qu’aux représentations métaphoriques associées à la figure de Chaliapine.

Pascale MELANI
Chaliapine et les peintres russes
Toute sa vie Chaliapine a noué des relations amicales et de travail avec les peintres russes. Ces liens se sont tissés pour la première fois dans l’entourage de Savva Mamontov, où le jeune chanteur rencontre les artistes du Cercle d’Abramtsevo qui participent à son éducation artistique et l’aident à élaborer le profil plastique de ses rôles. Les échanges se sont poursuivis à toutes les étapes de la vie et de la création de Chaliapine, jusque dans l’émigration. Par ailleurs, l’image du chanteur, dans la vie ou sur la scène, a souvent été fixée sur la toile par les peintres qui ont ainsi contribué à la création et à la diffusion d’un mythe Chaliapine, y compris au-delà des frontières de la Russie. Chaliapine, l’homme et l’artiste, se trouve donc au centre d’un dialogue entre les arts. Délaissant l’approche strictement biographique, c’est ce dialogue que lе présent article entend explorer, en insistant sur les rencontres principales qui ont permis à Chaliapine de se constituer en tant qu’interprète et en réfléchissant d’une manière plus large sur la place du visuel dans son art et dans la popularisation de l’art lyrique au niveau mondial.

Tatiana VICTOROFF
Fiodor Chaliapine et Boris Grigoriev : dialogue de « deux génies impulsifs »
« Ils sont la personnification du talent russe […] il y a une parenté évidente dans leur caractère et leur succès. […] Ce sont des talents impulsifs ». Cette observation du critique Nikolaï Radlov à propos de ses grands contemporains, Fiodor Chaliapine et Boris Grigoriev, est abordée au travers de l’étude de deux tableaux monumentaux de Chaliapine peints par Grigoriev, le premier en 1919 en Russie, le second en 1923 en exil. Ce « talent impulsif », supposément spontané et imprévisible, se révèle paradoxalement dans un art parfaitement maitrisé qui mène à des formes monumentales dont la « russité » affirmée est une forme d’universalité. L’impulsivité de Chaliapine (que Grigoriev rend au mieux dans ses tableaux) devient la source de sa création, libre et qui ouvre au mystère de l’art comme fenêtre sur un monde transfiguré. Nous proposons en annexe un texte inédit sur Chaliapine de Boris de Schloezer, passeur de l’œuvre des deux artistes en Russie, puis en exil.

Sylvie MAMY
Fiodor Chaliapine et Gabriele d’Annunzio en quête de l’art total
Au dernier chapitre de sa seconde autobiographie (Ma Vie en français, Man and Mask en anglais, 1932), Chaliapine exprime son regret de n’avoir pu fonder en Russie un théâtre entièrement dédié à l’opéra. Il se souvient, à ce sujet, de ses rencontres avec le grand poète italien Gabriele d’Annunzio, à Paris, dans les années qui précédaient la Première Guerre mondiale, de leur projet de travailler ensemble à une forme de théâtre synthétique. Il évoque le spectacle vu au théâtre du Châtelet, en mai 1911, dont d’Annunzio était l’auteur, principalement mis en scène par des artistes russes (Léon Bakst, Ida Rubinstein, Michel Fokine), Le Martyre de saint Sébastien. Il dit avoir apprécié « la fraîcheur et la force de chaque scène, de chaque réplique, et toute l’atmosphère de l’œuvre ». Je me demande ce qui, dans ce spectacle, a pu plaire particulièrement à Chaliapine et sur quels points le chanteur russe et le poète italien auraient pu s’entendre s’ils avaient réussi à concrétiser leur projet commun d’art total.

Christina GUILLAUMIER
Chaliapine en Grande-Bretagne : contextes, nuances et perspectives
Le célèbre baryton-basse Feodor Chaliapine a fait ses débuts devant le public britannique en 1913, à une période où, selon Serge Prokofiev, la musique russe était « à la mode » à Londres. Son introduction coïncidait avec l’établissement des Ballets russes de Diaghilev dans la capitale britannique, renforçant la présence d’émigrés russes et l’expression d’autres courants esthétiques et tendances sociopolitiques. Chaliapine s’est produit par intermittence dans les grandes villes britanniques – Londres, Manchester, Édimbourg – pendant près de deux décennies et a collaboré étroitement avec Sir Thomas Beecham, chef d’orchestre renommé et fervent promoteur de la culture russe. Sa première prestation à Londres en juin 1913 fut suivie d’apparitions sporadiques sur les scènes britanniques durant les années suivantes. Bien que sa présence n’ait pas été continue, il a marqué le public dès ses premières performances. Cet article explore comment Chaliapine s’inscrit dans un contexte culturel et sociopolitique complexe, analysant l’évolution de la relation entre les Britanniques et le chanteur légendaire tout en examinant la réception critique et les préjugés politiques et sociaux de l’époque.

Marielle SILHOUETTE
Le jeu de Chaliapine et sa réception dans la presse allemande et autrichienne de la fin du XIXe siècle aux années 1930
Constamment présent dans la presse dès la fin du XIXe siècle jusqu’à sa mort en 1938, Fiodor Chaliapine s’est pourtant relativement peu produit sur les scènes allemandes et autrichiennes en comparaison d’autres grandes voix russes dans cette période. Sa notoriété dépasse malgré tout de très loin celle de ses homologues pour atteindre, au-delà des seuls connaisseurs, un large public selon une postérité durable jusqu’à nos jours. Le parcours ici déroulé à partir d’un échantillonnage d’articles extraits de la presse quotidienne et spécialisée de la fin du XIXe siècle aux années 1930 permet de mettre au jour les grandes lignes de la réception et, au-delà du mythe, de restituer les caractéristiques majeures de son art à l’origine de la fascination exercée. Il renseigne en même temps sur les évolutions en matière d’opéra, ses modes de production, de réalisation et de réception dans une période historique mouvementée.

Oksana BUTSENKO
De Chaliapine aux Chaliapiniana, l’histoire singulière des autobiographies du chanteur
L’article étudie les deux autobiographies du chanteur, dont le destin est à l’image de leur auteur : exceptionnel, controversé et hors normes. Bien que les deux livres aient vu le jour dans l’entre-deux-guerres, certains lecteurs, notamment soviétiques, devront attendre les années 1990 pour découvrir le texte intégral et non censuré. Plus surprenant encore, bien avant le début de la première publication en janvier 1917 par le mensuel Letopis’ [Летопись] dirigé par M. Gorki et avant même le début de son écriture par Chaliapine, les lecteurs d’un journal moscovite pouvaient déjà découvrir les chapitres d’une prétendue autobiographie intitulée Ma Vie signée F. Chaliapine. Cet épisode, cité par le chanteur en 1912 dans son article La Presse et moi, témoigne de l’intérêt et de la fascination du public envers sa personnalité, comme envers ses dérives. Les « chemins étranges des éditions » commencent par les choix de traduction parfois douteux (quand Le Masque et l’âme devient Le Masque et l’homme ou simplement Ma vie) et mènent vers un long procès et un désaccord profond au sujet des droits d’auteur avec M. Gorki, pourtant ami de longue date et coauteur de la première autobiographie. Tandis que les avis des chercheurs sur l’implication exacte du grand écrivain divergent, l’unique sténographie des récits de Chaliapine (datant de l’été 1916) qui permettrait de lever le voile sur cette question, gît dans les archives russes… toujours non dépouillée.

Anna LUSHENKOVA-FOSCOLO
Les représentations littéraires de Fiodor Chaliapine : de la construction à la désacralisation du mythe
La figure de Fiodor Chaliapine étant devenue mythique du vivant même de l’artiste, nous souhaitons analyser l’un des aspects de la construction de ce mythe : les représentations littéraires du chanteur par ses contemporains. Au centre de notre attention seront placés les écrits de deux auteurs faisant partie des cercles artistiques côtoyés par le chanteur : Ivan Bounine et Léonid Andreïev. Dans les portraits littéraires de Chaliapine créés par ces deux écrivains, certains motifs se retrouvent et contribuent à la construction d’une figure mythique, ce qui contribua à la mise en circulation de nombre de lieux communs. Nous allons observer comment ce mythe fut à la fois construit et désacralisé, profané et enfin condamné. De plus, sous la plume de Bounine, cette condamnation finale associe l’art de Chaliapine et celui d’Andreïev, même s’ils n’ont pas œuvré dans le même domaine. Quel sens faut-il donner à ce rapprochement ? En quoi les discours analysés s’avèrent-ils importants pour la construction de certains lieux communs concernant Chaliapine, et quels éléments de ces textes ont-ils nourri durablement la représentation de l’artiste ? Ce sont les questions qui guident cet article.

Sylvie ARCHAIMBAULT
Fiodor Chaliapine dans le cinéma d’Alexandre Sokourov
Parmi les films d’Alexandre Sokourov, deux sont consacrés à Fiodor Chaliapine : l’un, daté de 1986, intitulé Élégie, l’autre, Élégie de Pétersbourg, daté de 1990. Inspiré par le transfert de la dépouille de la célèbre basse de Paris à Moscou, Sokourov retrace la vie et les lieux de cette personnalité emblématique. Le réalisateur y revisite l’histoire de l’artiste et de l’homme, mêlant documents d’archives, photographies, extraits de films et entretiens avec des proches de l’artiste. L’Élégie de Pétersbourg filme longuement le fils de Chaliapine, Fiodor Fiodorovitch, dont la ressemblance avec son père est habilement utilisée. Au-delà, Sokourov questionne tout à la fois la permanence de la culture, bouleversée par les événements historiques, l’exil et les ruptures qui l’accompagnent, sentimentales, familiales, artistiques et les traces et les héritages qui en subsistent. Soutenue par une voix douce aux intonations hypnotiques, celle d’Alexandre Sokourov lui-même, la narration oscille entre récit parfaitement documenté et rêverie ; elle sert un lyrisme cinématographique auquel le spectateur n’est pas insensible.

Jasmine JACQ
La série Chaliapine (Rossia 1, 2023) analyse d’une réappropriation culturelle
Alors que la vie comme l’œuvre de Chaliapine ont été presque absents du cinéma comme de la production audiovisuelle soviétique, puis russe après 1991, une série télévisée en huit épisodes (Chaliapine, Egor Anachkine) produite et diffusée à destination du grand public fait soudain son apparition sur les écrans en 2023, année du 150e anniversaire de la naissance du chanteur. Les biopics consacrés aux grandes figures de la nation sont depuis une quinzaine d’années devenus une forme familière du grand public russe, forme encouragée par les institutions culturelles et le système public de financement. Chaliapine vient ainsi rejoindre la galerie des biopics d’artistes qui déferle sur les écrans russes depuis vingt ans (Maïakovski, Dostoïevski, Essenine…). Cet anniversaire donne par conséquent l’occasion aux institutions culturelles russes d’une réhabilitation du chanteur dans le public de masse qui fera souvent connaissance avec lui. Par ailleurs, inexacte historiquement, illustrative, esthétiquement pauvre, elle sert, à travers l’exaltation qu’elle fait de la russité du personnage, une démarche de réappropriation par la Russie de la mémoire et de la gloire du chanteur mort en exil. Si la dépouille de Chaliapine avait été acheminée à Moscou en 1984 à la demande de Gorbatchev, cette série à vocation commémorative constitue par son propos le rapatriement



Isba restaurée - Irkoutsk - Photo : Elena Jourdan


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