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Chronique d’un voyage autour, mais surtout au bout du monde (chapitre 2).

lundi 10 octobre 2016, par Sylvette Soulié


Chronique d’un voyage autour, mais surtout au bout du monde

Chapitre 2. Diomède petite et grande, Ratmanov, Krusenstern, Tymlat, Yttigran et alii

A un jet de pierre (figure de style) de là (du cap Dejniov) se trouvent deux îlots posés sur l’océan. Géographes de tous les pays, unissez-vous, comme les prolétaires ! Je ne m’attarderai pas sur les inévitables confusions dues à la transcription du russe en français (en passant bien souvent par l’anglais). Dejnev, c’est à prononcer Dejniov. D’ailleurs, pour que le Français lambda puisse prononcer correctement, il faudrait écrire Dejniof. C’est la raison pour laquelle au XIXe siècle on transcrivait ainsi, de plus avec deux ff, Dieu sait pourquoi ! Vous connaissez certainement des Popoff et des Popov ? Quant à la baie Dejneva, c’est toujours la baie du nom du même explorateur, avec la désinence du génitif. Passons, ce n’est pas très grave. Mais je trouve regrettable qu’il ne puisse y avoir de consensus sur les noms des deux îlots que je vous annonçais. Vu leur importance stratégique, c’est ennuyeux. En effet c’est là, entre les deux, entre la Grande Diomède et la petite Diomède que passe d’une part la ligne de changement de date, d’autre part la frontière entre les Etats-Unis et la Russie (l’URSS jusqu’en 1991) avec quelque 4 kms de distance !


La Grande Diomède (ill.1) est donc russe et fait partie de la Tchoukotka, la petite est américaine et fait partie de l’Alaska. Or, pour les Russes, ce sont les îles Ratmanov et Krusenstern du nom de deux explorateurs russes (ce dernier nom ne fait pas très russe, me direz-vous). Pour tout vous dire, l’île Ratmanov dans la langue des Inuits s’appelle Imaqliq, (ce qui veut dire l’Ile de demain !) et en tchouktche Imeline. Nous ne voyions que la première île, la plus grande, où il ne nous fut pas permis de débarquer, mais nous eûmes tout de même l’autorisation de faire une sortie en zodiac (Je profite de l’occasion pour faire amende honorable. Comme me le signale un marin émerite, qui fut aussi du voyage, j’ai dans ma précédente chronique confondu Zodiaque et Zodiac !). Les naturalistes et toute l’équipe du bateau étaient aux anges ! C’était la première fois depuis quatre ans qu’une sortie était possible pour aller admirer (le mot est un peu excessif à mon goût) des colonies de morses. Les uns, affalés en grand nombre sur les rochers, masses rosâtres dont émergeaient de ci de là leurs défenses blanches, profitaient du soleil. Ils étaient des centaines, et leur odeur puissante parvenait jusqu’à nos narines (enfin pas à tous, heureusement, mon rhume avait quelque peu réduit mon odorat). Les autres mammifères marins faisaient

la farandole (ill.2) autour des zodiacs, nous faisant des simagrées et semblant nous observer avec beaucoup d’intérêt. De nombreux oiseaux totalement inconnus pour moi, avec des noms étonnants comme le « guillemet à miroir », par exemple, complétaient ce tableau.
Etant davantage attirée par les hommes et l’histoire que par les animaux, qu’il s’agisse de mammifères ou de volatiles, aussi rares soient-ils, j’ai cherché à en savoir un peu plus sur l’île Ratmanov. Pourquoi étions-nous limités à la côte ouest, sans pouvoir en faire le tour ? La réponse s’impose : sur la côte est il y a le poste des garde-côtes russes, qui surveillent la frontière russo-américaine et, en général, n’aiment pas se faire photographier…
L’île Ratmanov est actuellement inhabitée (à l’exception des ci-dessus nommés), alors qu’au début du 20ème siècle, après la révolution bolchevique et jusqu’en 1933, eut lieu une migration progressive des habitants vers l’île américaine (Petite Diomède ou Krusenstern). Puis le pouvoir soviétique rapatria de force les indigènes esquimaux en Tchoukotka et il semblerait que leur ethnie se soit éteinte. Ce n’est en fait qu’en 1941, pendant la Seconde Guerre mondiale, que fut établie une base militaire, la base de garde-côtes, et érigé ce que certains ont appelé le « rideau de glace ».
Ce qu’il y a d’intéressant à noter, et que nous ne savions pas : en 2005 une gigantesque croix orthodoxe en bois de 7 m de haut a été plantée par l’évêque d’Anadyr et de Tchoukotka Diomède (tiens donc, ce nom rappelle quelque chose !), au sommet de l’île, et cette croix est visible depuis l’Alaska (île de Krusenstern) ainsi que de tous les bateaux qui circulent dans le détroit de Béring. Il s’agit là de renseignements que j’ai pu vérifier sur le site officiel du patriarcat de Moscou ! Je regretterai de ne pas l’avoir vue, de ne pas avoir pu la photographier. Dans le même registre (religieux) un fait tout à fait étonnant est à souligner : l’avant-veille de notre passage, le 8 septembre 2016, eut lieu à cet endroit la visite du patriarche de Moscou et de toute la Russie Cyrille, venu prier pour la paix. Par les temps qui courent, ce

n’est pas inutile (ill. 3). J’avoue être sidérée par l’activité tous azimuts de l’Église orthodoxe russe.
Les amateurs de nature et d’animaux profitèrent pleinement des nombreuses sorties, débarquements en zodiac, promenades, observations diverses de la flore et de la faune de Tchoukotka. Je découvris une fois de plus une espèce insoupçonnée de petits rongeurs. Savez-vous ce que c’est qu’un spermophile arctique ? Le mot anglais est plus utile :arctic ground squirrel (on reconnait au moins le terme

d’écureuil). L’allée des os de baleines de la petite île d’Yttigran (ill.4 et 5), haut lieu touristique du parc naturel de Béringie, est apparemment systématiquement visitée par les rares touristes passant par ces contrées lointaines et inhospitalières. Mais d’après les deux employés du parc surveillant notre débarquement depuis leur zodiac, ils accueillent un nombre assez important de touristes russes fortunés, amateurs d’insolite. Les balades dans la

toundra de Tchoukotka (ill.6) resteront aussi un moment fort de ce voyage.
Mais nous voilà plus au sud, au Kamchatka ! Au fait, pourquoi ce toponyme est-il devenu masculin en français, alors que ce n’est pas le cas de la Tchoukotka ? Encore un mystère linguistique à creuser…

Nous allons enfin visiter un vrai village, peuplé de koriaks, pêcheurs pour la plupart, qui accueillent avec beaucoup de gentillesse et de bienveillance ces touristes étrangers qui doivent tout de même leur faire l’effet d’extraterrestres. Ils nous régalent de quelques spécialités locales (viande de renne, œufs de saumon, saumon mariné), vendent quelques rares objets d’artisanat local. Ils offriront surtout un spectacle de danses et de chants traditionnels et nous inviteront tous à les rejoindre. C’est touchant, mais je suis un peu gênée par ce décalage entre leur mode de vie et ce que nous connaissons nous.

Je suis frappée de voir très peu d’hommes, beaucoup d’enfants, des petites vieilles (mais le sont-elles vraiment ? sans doute pas) très ridées et souvent édentées, très vives et actives. C’est sans conteste un spectacle organisé pour touristes, ils profitent de cette occasion, tant mieux pour eux, car je doute fort que des touristes russes viennent leur rendre visite. Et quelque part au fond de moi, me vient à l’esprit une comparaison avec les réserves d’Indiens en Amérique.

Véronique Jobert, 9 octobre 2016



Le cours du Ienissï, dans les monts Sayans - Photo : Elena Jourdan


Éditeur du site : Association Française des Russisants
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