Des rives de la Volga aux rivages de la mer Jaune
"Ekaterina Dmitrievna Ilyina, ma grand-mère, après avoir passé 18 ans en émigration à Harbin, s’installa à Shanghaï en 1938. En 1954 elle quitta la Chine pour Moscou, où vivait sa fille Natalia, rapatriée en URSS à la fin de 1947. Ekaterina Dmitrievna avait toute sa vie gardé les innombrables lettres écrites par sa mère de Leningrad, ainsi que ses propres archives. Elle rapporta tous ces documents précieux en URSS. A la mort de ma tante Natalia Ilyina qui était devenue écrivain, j’héritai de toutes ces archives familiales. J’ai déjà publié en Russie de nombreuses lettres d’Olga Alexandrovna Voeïkova, mon arrière-grand-mère. Cette dernière avait correspondu avec sa famille émigrée en Chine à partir de 1920.
J’ai retrouvé tout récemment un document resté inédit, écrit par sa petite fille Moussia, fille naturelle de son fils aîné Alexandre Dmitrievitch Voeïkov, émigré en Chine. Moussia était née en 1914 à Syzrane, sur les bords de la Volga. Elle avait échappé au massacre dont furent victimes en juin 1918 sa tante et sa grande-tante Mertvago dans leur propriété familiale et fut recueillie par sa grand-mère Olga Alexandrovna, qui avait elle-même trouvé refuge auprès d’une parente à Samara. Dans le récit poignant qui suit, elle raconte ses premiers souvenirs, remontant à cette époque. Or en 1921 sévit en Russie une terrible famine qui fit plus de cinq millions de morts. C’était il y a 100 ans. Elle est évoquée par Moussia.
En 1924 Moussia partit, accompagnée par sa grand-mère et son demi-frère Alek, rejoindre son père en Mandchourie. Comme sa mère, morte très jeune, Moussia souffrait de la tuberculose et en mourut en 1934, à l’âge de 20 ans. Elle a dû écrire ce récit en Chine, après son mariage en 1930 à Tsingtao. Elle parle dans ces pages de ses premières émotions de petite fille grandissant à la campagne, non loin de Syzrane. Elle évoque tous ceux qui l’entourèrent dans son enfance. Ce sont, notamment, sa tante Maria Dmitrievna Denissova, la fille cadette d’Olga Alexandrovna, avec son mari Vassili Denissov, et son cousin germain Ioura. Sa description des mœurs et coutumes de la paysanne pieuse Davydovna qui est la mère de Vassili, des fêtes religieuses ayant encore cours est un témoignage précieux et très émouvant.
Cette publication se veut un hommage à la mémoire de tous les membres de ma famille ayant traversé ces dures épreuves. Mention spéciale doit être faite de celle que Moussia appelle tante Nadia, la mère d’Alek. En juillet 2020 une plaque fut apposée à Saint-Petersbourg à leur « dernière adresse ». On peut y lire qu’en 1935 Nadejda Alexandrovna Bachmakova fut exilée à Astrakhan, à l’âge de 49 ans, comme « élément socialement dangereux », puis arrêtée à l’automne 1937 et fusillée le 17 janvier 1938 à Stalingrad.
Véronique Jobert
Paris, juin 2021
Les souvenirs de Moussia"