Dire que les médias russes sont de plus en plus contrôlés n’est plus une révélation. L’ONG Freedom House établit un index annuel de la liberté de la presse. Or, en 2006, la Russie est cent cinquante-huitième sur cent quatre-vingt-quatorze États, alors que le pays ayant la plus grande liberté de presse est en première position. Son classement s’est constamment détérioré depuis 1998 (année où Poutine a été nommé à la tête du FSB…), si bien qu’en 2003 (année électorale…), la Russie a rejoint le groupe des pays considérés comme « non libres », alors qu’elle faisait jusque-là partie des pays « partiellement libres ».
Le contrôle est particulièrement fort sur la télévision qui, d’après Igor Iakovenko, secrétaire général de l’Union des journalistes, est désormais un mélange de « propagande et show-business ». La pression s’est également renforcée sur la presse écrite : le politique fait racheter certains journaux par ses proches et, en premier lieu, par GazProm, tandis que des cadres du parti Russie Unie sont nommés à des postes clefs, dans des publications qu’ils sont chargés de surveiller. En 2007, la Douma envisage aussi d’étendre le contrôle de l’État sur les sites Internet d’informations, dont le plus connu, « gazeta.ru », vient d’être acheté par une filiale de GazProm.
Ce contrôle accru bénéficie toutefois d’une sorte d’ « emballage hollywoodien ». Gljanets, le dernier film d’Andreï Kontchalovski, montre ainsi que la destruction de la liberté d’expression est noyée dans le « glamour », qui est aujourd’hui si à la mode dans une partie de la société russe et est présenté, y compris dans ce film, comme un idéal à atteindre.
Le renouveau de la censure est facilité par la loi sur l’extrémisme, qui a été promulguée en juillet 2006 et a été durcie, depuis, par plusieurs amendements. À l’origine, cette loi semblait conçue pour venir à bout des groupuscules fascisants ou nazis, mais le terme « extrémisme » y est aussi vague que celui d’ « antisoviétisme » jadis, si bien qu’elle est désormais employée pour étouffer toute dissension politique.
Or, il s’avère que la société russe n’est pas disposée, pour l’instant, à défendre la glasnost et la liberté d’expression. Comme à l’époque soviétique, des « représentants » de la société demandent même un renforcement du contrôle sur les médias. Mikhaïl Boïarski, acteur et chanteur très connu, a ainsi fait la une de l’hebdomadaire Itogui, en clamant : « Si Vladimir Vladimirovitch (Poutine) le demandait, je répondrais que je suis pour la censure. » Il prétend certes confier cette censure à des comédiens de grand talent, mais l’appel de ce proche du pouvoir poutinien est révélateur : il faudrait protéger la société d’elle-même et d’une liberté qui tournerait immanquablement à l’anarchie. L’ « intelligentsia » poutinienne n’aurait-elle rien retenu des leçons du XXe siècle ?
Envers et malgré tout, des journalistes russes continuent toutefois - contre leur pouvoir et, en grande partie, contre leur propre société - de proposer des textes journalistiques qui ne sont ni de la propagande, ni du show business. C’est à eux que je souhaite rendre hommage.